« Si je dois être un diablotin, autant le faire à fond ! » s’est-il dit en se badigeonnant de peinture rouge de la tête aux pieds, complètement nu, à l’exception de deux petites cornes en plastique et d’une queue fourchue fixée avec un bout de ruban adhésif qui ne demandait qu’à lâcher. Un vrai chef-d'œuvre de la débrouillardise... ou plutôt de la débilité.
Le soir venu, Bof s’élance dans les rues de la ville, convaincu qu’il fera forte impression. Il se dandine entre les lampadaires, son corps rouge brillant dans la lumière blafarde. Rouge comme une tomate, mais fier comme un paon, espérant sans doute impressionner la populace ou, au moins, attirer les regards curieux. Mais l’effet recherché n’est pas vraiment celui escompté. Les passants le dévisagent, partagés entre l’inquiétude et le fou rire. Un groupe d’enfants, déguisés en zombies et en sorcières, le pointe du doigt en hurlant :
Une petite fille déguisée en citrouille chuchote à sa mère : « Maman, c’est quoi ce truc ?! » « Ne le regarde pas trop, chéri, c’est... c’est de l’art contemporain. »
« Maman, pourquoi le monsieur est tout rouge ? » Je crois qu’il est… très très enthousiaste pour Halloween. »
Bof, de son côté, n’entend rien de tout cela. Il est trop occupé à savourer son moment de gloire, se voyant déjà comme le roi de la soirée, la vedette de la fête. Mais dans l’ombre, une silhouette le guette, une figure trapu, au gros nez et au sourire sinistre : Nok la sorcière.
Nok est une sorcière de la vieille école, du genre qui préfère les chaudrons bouillonnants aux applications magiques modernes.
Cette sorcière n’a pas l’air commode avec sa blouse de chimiste maculée de taches douteuses et son chapeau mauve rapiécé, mais ne vous y trompez pas : elle a des goûts de luxe. Et ce soir, elle est en quête d’un ingrédient rare et précieux pour sa fameuse potion de jouvence : la crasse de doigts de pied d’un diablotin. Selon le Grimoire des Enchanteurs relier en peau de rat, une pincée de crasse de diablotin peut transformer une potion fade en véritable élixir divin.
Ce n’est pas glamour, mais selon la légende, quelques grains suffisent pour donner à la potion un goût délicat et des propriétés magiques redoutables.
Pendant ce temps, Nok la sorcière, fidèle à sa réputation de vilaine, survole la ville dans la pénombre sur son ballait. Ce soir, elle a un objectif bien précis : la recherche de son ingrédient magique, mais la chasse est maigre. Pas le moindre diablotin à l’horizon, sauf... sauf ce point rouge qui attire son attention. Elle plisse les yeux, repère Bof il est là, tout rouge, luisant de peinture. C’est là que le destin frappe. Ou plutôt, que Nok aperçoit Bof en bas, sa chair rougeâtre luisante sous les réverbères de la rue, son postérieur exhibé aux quatre vents. La sorcière Nok ne peut y croire. Le voilà, le diablotin tant recherché ! L’odeur de ses pieds, amplifiée par l’absence totale de chaussettes, arrive jusqu’à ses narines, et elle en bave presque d’anticipation.
Pour Nok, c’est un miracle ! Un vrai diablotin, en pleine ville, prêt à être cueilli. Le parfum délicat de la crasse de ses pieds lui monte déjà aux narines, et elle en salive d’avance. « Oh, ce doux parfum de crasse naturelle... C’est mon jour de chance ! » se dit-elle, avant de plonger en piqué sur Bof, telle une harpie affamée.
Ni une, ni deux, elle fond sur lui comme un aigle sur sa proie, et le happe avec son balai en plein vol.
Bof n’a pas le temps de réagir. En une seconde, il se retrouve agrippé à l’arrière du balai, les jambes pendantes, sa queue fourchue se détachant enfin pour s’envoler derrière eux.
« Hééé, où on va ?! » s’écrie-t-il, paniqué, en essayant de ne pas tomber.
« Ne t’inquiète pas, mon petit diablotin, je vais te faire tremper dans un bain de jouvence qui te rendra tout beau tout neuf, » lui répond Nok avec un sourire digne d’une sorcière accomplie.
Bof, toujours naïf et croyant avoir trouvé une alliée dans cette mystérieuse sorcière, se dit qu’il a peut-être bien fait de sortir ce soir. Après tout, il n’a jamais refusé une bonne baignade. Il se dit même qu'il va ressortir de là avec une peau plus douce qu’un bébé, sans trop se douter du plan maléfique qui mijote dans la tête de la sorcière.
« Ah, super ! Moi qui n’ai pas vu de baignoire depuis... depuis... euh... »
« On s’en fiche ! » rétorque Nok, en accélérant le balai.
Arrivés dans l’antre de la sorcière, une vieille bâtisse perdue au fin fond de la forêt,
Nok fait descendre Bof dans son salon-laboratoire. La pièce est un chaos de bocaux remplis de choses non identifiables, de toiles d’araignées tissées avec un soin remarquable, et de grimoires ouverts à des pages sur les malédictions pour verrues rebelles. Bof regarde autour de lui, un peu perplexe, mais trop poli pour faire un commentaire sur la déco.
« Tu pourrais ranger un peu, non ? » laisse-t-il échapper, avant de se mordre la langue en voyant le regard noir de Nok la sorcière.
Nok sort son chaudron XXL, celui qu’elle n’utilise que pour les grandes occasions. Elle le remplit d’un mélange visqueux vert fluo qui fume et bouillonne en émettant un bruit inquiétant.
En sommant d'un regard a bof de plonger dans la marmite au plus vite. « Allez, plonge, c’est pour ton bien, » ordonne-t-elle à Bof, tout en ricanant sournoisement. Bof, persuadé qu’il va ressortir de là avec la peau aussi douce qu’un bébé (toujours aussi naïf), s’exécute. Il plonge tête la première dans le bain (après tout, ça fait des mois qu’il n’a pas vu une baignoire). dans la mixture, en remerciant presque Nok pour ses attentions. Sauf que, ce qu’il ignore, c’est que la sorcière a prévu de le cuisiner façon « ragoût de diablotin aux arômes de pied ».
La sorcière, elle, s’active autour du chaudron, jetant ici et là des pincées de poudre, des ailes de chauve-souris séchées, et quelques poils de nez de troll (on n’a rien sans rien).
Nok attend quelques minutes que la potion infuse bien. Puis elle prend une cuillère en bois, touille le tout et s’apprête à goûter la mixture qui, selon elle, devrait avoir une saveur exquise.
Elle touille, elle goûte, mais dès la première gorgée, elle grimace et se fige. Quelque chose ne va pas. La texture est bizarre, et le goût... « Mais... c’est infâme ! »
Dans le doute la sorcière humecte la potion, et la goutte une seconde fois et recrache illico presto cette mixture immonde.
S’exclame-t-elle en recrachant le tout : « Nom d’un crapaud verruqueux ! C’est dégueulasse ! » la sorcière en était quitte pour une vulgaire soupe au doigt de pieds répugnante.
Elle se penche au-dessus du chaudron et remarque enfin la peinture rouge de Bof qui se dissout lentement, révélant une peau pâle sous l’épaisse couche de pigment. La sorcière écarquille les yeux, horrifiée, son sang ne fait qu’un tour. « Ce n’est pas un vrai diablotin... C’est... c’est juste un idiot couvert de peinture ! » hurle-t-elle, furieuse. De rage elle Cramponne son chapeau se l’enfonçant jusqu'au cou tout en s'égosillant c’est... c’est un simple humain et en plus, il est ridicule ! » Bof en pleine imposture !
Déçue et humiliée d’avoir été trompée par un simple humain en costume foireux, Nok lève sa baguette — une branche tordue qu’elle garde depuis ses premiers jours à l’académie des sorcières — et marmonne une incantation obscure. « Puisque tu as voulu jouer au diablotin, tu vas devenir un vrai démon, mais pas n’importe lequel ! Je te transforme en... gobeur de mouches ! » Bof, à moitié conscient de ce qui se passe, la regarde avec de grands yeux naïfs.
« Eh, attendez, vous m’aviez promis un bain de jouvence ! »
« Tu l’auras, ton bain de jouvence, mais version express ! » réplique Nok avant de le transformer en un véritable démon... mais pas le genre effrayant qu’on voit dans les films. Non, elle le transforme en un démon gobeur de mouches, avec une langue extensible et un appétit insatiable pour les insectes. Et hop, en un éclair de magie, Bof se transforme en une créature toute rouge, avec une langue collante et une passion subite pour les insectes volants. Sa langue s’allonge pour attraper tout ce qui bourdonne. Le voilà qui se met à gober les mouches, les moucherons, et même un bourdon qui passait par là, tout en se demandant ce qui a bien pu mal tourner dans cette soirée. Nok, qui le regarde avec une mine dépitée, le voilà réduit à chasser les mouches dans la vieille bâtisse de la sorcière. Et pour rendre la punition encore plus piquante, elle le condamne à rester ainsi pendant un mois entier. « Ah, mais quelle soirée pourrie... même mon dîner de sorcière est gâché ! » se lamente-t-elle.
Le lendemain, Bof retourne à l’école primaire. Mais en entrant dans la classe, il ne se rend pas compte qu’il est encore un démon rouge, à la langue qui se déroule à chaque occasion pour attraper une mouche. Les enfants, d’abord émerveillés, finissent par être traumatisés à vie.
« Maîtresse, pourquoi Bof mange les mouches ?! »
« C’est... c’est une pathologie inconnue... nous métrions la situation... » bafouille la directrice, en se demandant combien de séances de thérapie elle devra payer pour calmer les élèves. À l’école, les enfants n’en croient pas leurs yeux. La rumeur du "démon gobeur" court dans les couloirs, et Bof, ex-diablotin improvisé, devient la légende locale des cours de récréation. A l'école les élèvent en furent estomaqué voir choqué pour longtemps.
Quant à Nok, elle rumine sa déception dans son antre, maudissant les mauvais déguisements et les faux diablotins. Elle aura appris une leçon se promettant une chose : l’année prochaine, avant de cuisiner elle vérifiera bien les références de ses ingrédients avant de les jeter pêle-mêle dans le chaudron. Parce que cette fois-ci, elle a vraiment eu la soupe à la grimace... a la crasse aux doigts de pieds de Bof.